Le Cimetière des Fous, situé à Évreux (Eure), était en réalité l'ancien lieu de repos des indigents qui étaient autrefois résidents de l'hôpital psychiatrique de Navarre. Niché dans un bois derrière le Nouvel Hôpital de Navarre, ce cimetière, discrètement caché, abritait 522 sépultures ainsi qu'un ossuaire contenant les restes de 1 000 individus. Les premières tombes ont été creusées en 1866, et la dernière inhumation avait eu lieu en 1974.

L'action d'Urgences Patrimoine
Le Cimetière des Fous était au cœur de notre mission à Urgences Patrimoine. Nous étions déterminés à préserver ce lieu chargé d'histoire et à faire entendre la voix des défunts qui y reposaient. C'était un site patrimonial unique qui méritait le respect et la dignité.

Changement de propriétaire : un héritage de l'État
En 2010, en raison de la construction de la déviation sud-ouest d'Évreux, le terrain du cimetière, couvrant une superficie de 2 700 mètres carrés, a été transféré de l'hôpital de Navarre à l'État. Selon les plans prévus, ce cimetière devrait être recouvert pour permettre le passage de la route et ses aménagements adjacents.

L'action d'Urgences Patrimoine s'étendait bien au-delà de la préservation matérielle. De nombreuses voix se sont élevées au nom de la dignité et de la décence, plaidant pour que les restes humains y reposant devaient être transférés dans un ossuaire assorti d'une plaque commémorative. 

1 600 destins recensés et préservés
Anaïs Poitou, jeune passionnée de 23 ans, s'est consacrée à l'histoire et au destin de ces sépultures. Elle fait partie de l'association Urgences Patrimoine et de sa Commission nationale de Sauvegarde du Patrimoine funéraire. Aux côtés d'une dizaine de bénévoles de l'association, ainsi que des descendants des défunts, elle a réalisé un travail colossal pour identifier et indexer les 522 tombes et les 1 000 défunts de l'ossuaire. Un inventaire approfondi a été réalisé, révélant les détails suivants : 522 tombes, dont environ 210 pour les femmes et 189 pour les hommes, 97 inconnus, 13 matricules sans noms, 1 soldat Mort pour la France, une quarantaine de Poilus, soldats de la Première Guerre mondiale, 4 infirmiers, 2 infirmières, 1 médecin et 1 prêtre. Sans oublier l'ossuaire rassemblant plus d'un millier de corps.

Des tombes qui demeurent fleuries
Anaïs Poitou a eu le plaisir de découvrir des signes de respect envers ces tombes. Elle rapporte : « L'un des plus beaux témoignages que nous avons pu voir, ce sont les dépôts de roses fraîches sur les tombes de pierre et au pied des stèles en bois, sans aucune distinction. Ce geste émouvant prouve que ces tombes n'étaient pas abandonnées et que des personnes continuaient de rendre hommage à ces défunts ».
22 950 voix pour préserver la dignité

Une pétition lancée par Manon Maurin sur Change.org en faveur de la protection des corps inhumés dans ce cimetière avait recueilli 22 950 signatures. Cette pétition visait à préserver l'intégrité des défunts conformément à l'article 225-17 du Code pénal, qui stipule que toute atteinte à l'intégrité du cadavre est punissable. L'objectif n'était pas d'entraver les travaux de la déviation, mais plutôt de déplacer ces ossements dans des ossuaires, en préservant la mémoire des défunts oubliés.

Des familles émues et concernées
Parmi les témoignages recueillis, certains sont particulièrement émouvants, notamment ceux des familles des défunts. L'arrière-petite-fille de Séraphin Adrien Barillon témoigne de son inquiétude et de son urgence : « Dès que j'ai appris que la déviation routière allait recouvrir ce cimetière, ainsi que la tombe de mon arrière-grand-père, j'ai entrepris plusieurs démarches. Le 15 juillet 2021, j'ai contacté la mairie d'Évreux pour leur signaler que Séraphin Barillon avait de la famille et pour leur demander d'être informée lors du déplacement de son corps ».